samedi 18 mars 2023

THEATRE : COLETTE MISE EN ... AME


Colette sur la scène du TGB De Châtillon-sur-Seine (Photo TGB)


Que ne dit-on pas aujourd'hui, cent-cinquante ans après sa naissance, sur Colette, cette écrivaine géniale, cette femme engagée et libre, cette énigme littéraire de la première moitié du XXe siècle ?

Ce qu'on ne dit pas, et qui est l'essentiel, elle seule peut nous le dire, elle seule peut nous caresser de ses mots inouis : pour entendre seulement cette voix de l'âme, il convient d' assister au spectacle de la Structure Compagnie (basée tout près de Saint-Sauveur en Puisaye) intitulé Colette, de l'autre côté du miroir.

Alors non, effectivement, ce n'est pas Colette que joue si admirablement Valentine Regnaut, c'est son âme. Les mots de Colette réunis subtilement en tirades confidentielles par l'incontournable colettienne qu'est Samia Bordji, ces mots qui volent sur le ciel de nos musiques intérieures, qui nous font aller de l'aube claire de la naissance au soir lugubre des ombres enfuies, ces mots sont la musique d'une âme féminine directement branchée sur l'infini.


Pour qu'on ressente cela, Sylvie Pothier a réussi une mise en scène vertigineuse, non pas une mise en scène, mais une chorégraphie métaphysique, féminine dans tous ses entrechats, dans laquelle Valentine Regnaut se glisse en volutes évanescentes de son corps libéré. Emportés par cette gestuelle mythique dans ce cadre multiforme, nous avons le souffle coupé : quelle écriture que celle de Colette, quelle densité harmonieuse, quelle vérité révélée !

On sort enfin de la Colette « people » pour entrer dans sa vérité intime.On ne pouvait pas mieux lui rendre hommage qu'avec ce spectacle hors normes.

Michel HUVET






mercredi 30 novembre 2022

CHATILLON TGB : LA QUESTION JUIVE EN SCENE



Ils sont trois et tous les trois nous regardent. Ils sont nous. D'ailleurs, ils viennent sans vergogne au milieu de nous. Maud Narboni danse et attrape les mots avec une impudeur délicieuse tandis que Philippe Journo pousse à l'excès des insultes racistes qui bousculent les fors intérieurs. Et la frêle Emmanuelle Touly, sous les tremblements fluets des vidéos d'Elise Boual, déroule des syllogismes antisémites tout en laissant son alto chanter des complaintes yiddish ou des couplets mémorables. Et nous voilà face à nous-mêmes, face à ce que Sartre nous demande de définir : l'antisémite. En une heure, ce tourbillon philo-introspectif nettoie joliment deux millénaires salis par ce torrent de manie bouc-émissairique.

A mi-chemin entre le Living théâtre et Peter Brook, Danièle Israël et Pierre Humbert (1) proposent audacieusement de "cabaretiser" le texte pamphlétaire de Sartre sur la Question juive (1944). Il fallait oser théâtraliser ce texte très didactique pour aboutir à cette bouleversante introspection collective.. On rit, c'est vrai, parce que les bonnes blagues juives sont toujours très drôles et que Rabbi Jacob nous a appris à aimer la judéité malicieuse. Mais, au fond, la question reste posée : à chacun de nous de savoir pourquoi chaque époque a vu les hommes se servir de l'antisémitisme comme d'un prétexte pour ne pas se regarder en face.

Danièle Israël et Pierre Humbert ont trop d'expérience théâtrale pour s'égarer. Téméraire, leur pari semble gagné. Leur "spectacle" fonctionne bien et cela restera comme une lumière supplémentaire se reflétant sur le rideau de ce théâtre châtillonnais qui, décidément, éclabousse de ses créations l'univers dramatique.

Michel HUVET

(1) Théâtr'Âme, Troyes

Photo TGB






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