mardi 27 mai 2014

FUSION DES RÉGIONS : LA COLÈRE DE JEAN-FRANÇOIS BAZIN

Jean-François Bazin (Photo Le Bien Public)


Jean-François Bazin est de retour ! Enfin ! Treize longue années de silence pour cet ancien président de région, cet ancien journaliste, cet ancien adjoint de Robert Poujade, ce bouillonnant écrivain, ce Bourguignon incollable, cet inclassable politique.

De retour donc parce que son sang n’a dû faire qu’un tour quand il a appris que le Premier ministre s’était mis en tête de diminuer le nombre de régions et que François Patriat avait manifesté le désir de jumeler la Bourgogne à la Franche-Comté. Alors là, trop c’est trop pour JFB qui s’est fendu d’une de ces analyses-pamphlet dont il a le secret : document au poivre, fort bien argumenté comme toujours, très chiffré, et dans un style à nul autre pareil.

Centrest ou BFC ?

Ce qu’il dit : que ce serait une folie que de démanteler la Bourgogne. Que cela coûterait une fortune, que les impôts doubleraient, que… Il s’en étrangle en écrivant. Exemple : "Comment ce mariage s’appellerait-il ? L’exemple lamentable de PACA (quand on s’appelle Provence ou Côte-d’Azur, comment peut-on devenir PACA !) nous met en garde. On ne parlerait bientôt plus de la Région de Bourgogne-Franche-Comté, ou vice-versa, pour dire simplement BFC. La Côte-d’Or n’est-elle pas devenue 21, hélas ! Ou Région Centrest... Cela peut paraître secondaire. Il n’en est rien : on ira expliquer au vin de Bourgogne qu’il ne se situe plus en Bourgogne mais en BFC ou en Centrest, au tourisme bourguignon la même chose..."

Après avoir dénoncé "le mythe des grandes régions", JFB s’en prend aux "dimensions humaines". Lisez bien : "La Bourgogne est plus vaste que la Belgique. Elle doublerait de superficie. Quelle réalité identitaire régionale pourrait-elle naître entre Nevers et Belfort sur des centaines de km de distance ? Aucune. Bien sûr, on pourrait charcuter, faire comme on a fait jadis en démembrant la Bresse et le Morvan : l’aile à tel voisin, la cuisse à tel autre... Souhaite-t-on la disparition de la Bourgogne ? C’est pour nous un autre risque : l’Yonne à l’Ile-de-France, la Saône-et-Loire à Rhône-Alpes, la Côte-d’Or à la Franche-Comté et la Nièvre au Centre ou à l’Auvergne."

La Bourgogne dans le coeur

Enfin, il conclut en affirmant que Dijon y perdrait tout, et d’abord sa place de capitale régionale, sans compter les emplois administratifs et tant d’autres services. Tout cela est plein de bon sens. On retrouve là le grand JFB, celui qui pense plus vite que les autres et qui, sans ce caractère un peu difficile qui lui a joué tant de vilains tours, eut été le meilleur de tous tant il a la Bourgogne et Dijon dans le coeur.

On peut dire merci à Manuel Valls : sans lui, JFB eut continué de manquer au débat politique même si la littérature a gagné de son retrait : ne vient-il pas d’obtenir le prix littéraire du Morvan pour son dernier roman, Les Compagnons du grand flot (1) ? Et ce retour soudain dans le grand vent du débat politique fait, quelque part, beaucoup de bien : enfin un homme politique qui n’est pas un politicien uniquement préoccupé de lui-même mais totalement investi dans les causes auxquelles il croit.


Michel HUVET

(1) Editions Calmann-Levy





dimanche 11 mai 2014

CLAUDE PATRIAT NOUS FAIT LE COUP CLASSIQUE


Dessin de couverture (Patrick Grillot)
C’est un titre à la Claudel mais qu’on ne s’y fie pas : L’Annonce faite à Toinette est une comédie, une tragi-parodie selon son auteur, et je vous jure que s’il y a longtemps que vous n’avez pas passé un bon moment de lecture, vous allez vous rattraper !

On se demande bien quelle mouche classique a piqué Claude Patriat, très sérieux ex-vice-président de l’université, fondateur de l’IUP Denis-Diderot, politologue émérite, de surcroît frère aîné d’un aimable sénateur, pour qu'il se livre ainsi dans une pièce parodique en vers où se retrouvent à Versailles et Paris en 1774 des personnages étrangement ressemblant à ceux de notre quotidien de 2014.

Ce Louis, roi des Français, a bien les traits d’un certain François de l’Elysée. Sa première fiancée et duchesse du Poitou, est aussi rusée et maligne que celle qui s’en fut chercher querelle à un ex-prince hongrois en 2007. Quant à Antoinette, deuxième fiancée de Louis, héroïne de la pièce, on va la voir bannie de la Cour quand la "metromaniaque" Elvire fera son apparition dans la vie de Louis.

Les autres comparses, vous les connaissez tous : Johannes Strauss, tout compositeur et grand financier qu’il soit, sait chanter la beauté des belles et risquer sans cesse l’érotique aventure. Manolo, le vizir qui veut être calife, est bien celui qui règne en ces jours rue de Matignon. Il y a aussi, parmi plein d’autres seigneurs, l’inénarrable duc de Branlebour, ministre de Louis et chargé des causes désespérées. Bref vous avez deviné que nous voilà en très bonne compagnie.

Et tout cela, toute cette aventure que vont vivre et le roi et sa Cour, on le taira pour que demeure l’intérêt du lecteur. On se contentera de quelques citations alexandrines. Par exemple, dès le début, quand Manolo et Toinette sont en scène. C’est elle qui parle : Qui parle de tuer ? Juste de détrôner / Je lis dedans vos yeux ce brin d’avidité / Sans lequel il n’est pas de grandes ambitions / Vous ne l’ignorez pas, la haute fonction / Attend un homme fort et non un indolent.

Ce n’est qu’un exemple. Il faut tout lire et en bien rire. Il faut garder en mémoire cette tirade de Chimène qui, ambitionnant d’être reine, pérore en commençant toutes ses promesses par "Moi, reine"… et qui commence ainsi : Moi, Reine des François, soyez tous assurés / Que je rendrai pays en meilleure santé / Que dans le pauvre état où il me fut confié !

Pour tout vous dire, saisi de passion pour cette "tragi-parodie en trois actes augmentés d’un quatrième", je me suis souvenu avoir été comédien et, derechef, en ai aussitôt appris par coeur quelques longues et fortes tirades que je me dis le soir avant de m’endormir bienheureux.

Michel HUVET

Ce petit livre, on le trouve à Dijon dans la petite et belle librairie d’ouvrages anciens, Au Chat curieux, rue des Bons-Enfants ou chez l'auteur, 59 rue Berbisey (10€ + 2 € de port)