dimanche 25 septembre 2016

MUSIQUES EN VOÛTES À VITTEAUX : LE "SCHOEK" D'UN NOCTURNE





J’aurais dû commencer par raconter les grands moments de cette journée de Musiques en Voûtes à Vitteaux, les passionnantes visites commentées de l’église Saint-Germain – son architecture, son jubé devenu tribune d’orgue, sa crypte aux peintures murales, son triptyque (1) – mais non, décidément, je ne parviens pas à me détacher de l’émotion ressentie avec le concert du Quatuor Manfred et de son invité, le baryton Pierre-Yves Pruvot.

 

Un rêve sauvage et morbide

Il y a des jours de grâce pour les musiciens, et ce samedi de septembre en était un pour les Manfred. Oser, comme ils l’ont fait, interpréter cet étonnant et lugubre Notturno opus 47 du méconnu suisse Othmar Schoek, relevait de la provocation : ce fut le contraire et le public divers et nombreux (où se côtoyaient spécialistes musicologiques et familles venues de tous les coins de Côte-d'Or) a retenu son souffle, si ce n’est ses larmes, au long des cinq mouvements de cette longue complainte post-romantique où le mort rôde constamment (poèmes de Lenau, prose de Keller) et qui constitue une oeuvre disparate où se marient subtilement l’esprit symphonique, la subtilité du lied romantique et la finesse intime du quatuor à cordes.

Il y eut même, comme dans le second mouvement, cette agonie terrible d’un "rêve sauvage" introduit d’abord par un extraordinaire presto du quatuor en sourdines annonçant un chant désespéré en une longue chute vers le néant que la voix de Pierre-Yves Pruvot, toujours plus grave et nuancée, aux résonnances inouïes, accompagnait les mots lourds des "invités mauvais" et les vestiges de vilaines créatures dans les larmes côtoyant le vin renversé sur la table.

Mahler et Schumann aussi

Cette oeuvre, très peu hétéroclite dans son inspiration si ce n’est dans sa multi-forme, s’achève par un solo du baryton qui va, regardant les étoiles, redonner à cette morbide descente aux enfers un peu de lumière : le quatuor, alors, par de très étonnants souffles d’archets suspendus, laisse petit à petit, uniquement par des frictions de sonorités aigües, entrevoir, de cette fin tragique, comme un lumignon d’espérance.

Cela méritait bien un bis, et quel ! On eut droit à une version transcrite pour voix et quatuor d’un Ruckert-lied de Mahler dont l’étirement mélodique est d’une beauté sidérale et qui nous rappelait qu’en début de programme, ce prodigieux Quatuor Manfred avait tutoyé l’impossible métaphysique de l’apparente jovialité du Quatuor n°1 de Schumann. On ne sait pas ce qui s’est passé entre les quatre grands musiciens des Manfred (2), mais là, c’est sûr, ils ont atteint des sommets qu’ils n’avaient fait, jusqu’ici, qu’éffleurer.


Michel HUVET

(1) Par Bernard Warnas et Roger Froidurot
(2) Marie Béreau et Luigi Vecchinni (violons), Emmanuel Harratyk (alto) et Christian Wolff (violoncelle)


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