lundi 28 février 2011

DIJON : LES GARGOUILLES DE NOTRE-DAME



Il est des soirs où l’âme est douce comme l’air de la nuit qui tombe. On va, main dans la main, errer dans ce vieux Dijon qui n’a pas pris une ride depuis le Moyen-Âge, on fait un voeu secret en touchant la chouette sur le côté de l’église Notre-Dame, on goûte d’exquis glacés-mince à la Maison Millère, on déplore ces sapins encagés qui voudraient orner la porte sculptée de l’hôtel de Voguë, on se pose même sur le banc de pierre sur lequel s’assit un jour un célèbre Cyrano de cinéma.

Et puis, revenus sur le pavé replet qui borde le palais où naquit Philippe-le-Bon, écoutant le vent d’hier chanter dans les arbres aux ombres desquels murmure l’Histoire, on marche jusque vers le parvis de l’église quand Jacquemart, là-haut, tout là-haut, sonne neuf coups éraillés. Alors, on lève la tête. La façade se dresse, muraille cachant le ciel et l’on reste émerveillé, abasourdi, stupéfait.

Cinquante-et-une gargouilles tendent le cou hors la façade, chimères, monstres, animaux fantastiques : tous nos tourments, tous nos vices, tous nos doutes tirent ainsi la langue ou louchent à qui mieux-mieux sur nos mornes silhouettes, là en bas, tandis que Jacquemart, ou sa Jacqueline, font encore tinter les neuf  notes de cuivre pour chasser quelques étourneaux attardés dans le soir.

C’est là qu’Aloysius Bertrand mit en prose cette poésie de la pierre et des ombres qui enchanta tant Mallarmé, c’est dans la venelle de la chouette que Jean-Philippe Rameau entendit son coeur jaloux lui fredonner les airs de Castor et Pollux… C’est de là qu’on entend sonner les carillons de Bruges. C’est de là qu’on repart pour l’aujourd’hui de nos vies : les gargouilles, elles, continuent de se tordre le cou pour nous souhaiter un peu de paix.

Michel HUVET



jeudi 24 février 2011

GEORGE SAND : UNE LETTRE MANUSCRITE EN VENTE





Êtes-vous, comme moi, sensible aux manuscrits de grands écrivains ? Ne trouvez-vous pas qu’il est très émouvant d’étudier les pages écrites nerveusement par Balzac, par exemple, avec ses annotations en marge qui redoublent le texte, ou de scruter les ratures innombrables qu’on trouve chez Flaubert et qui montrent son souci d’extrême concision ?

Ainsi, je viens d’apprendre qu’une grande lettre manuscrite de George Sand vient de réapparaître et sera mise en vente – l’estimation est entre 1 500 et 2 000 € – le 11 mars prochain à Paris. Ecriture à large épaisseur d’encre et en lignes montantes très serrées. George Sand écrit là  à un certain Martin Bernard, dit Martin-Bernard (1808-1883), ouvrier typographe, militant républicain, représentant du peuple et commissaire de la République, exilé en Belgique puis en Angleterre en 1849, pour le compte duquel un ami lui demande d’intervenir en sa faveur auprès d’un éditeur.



George se défend de pouvoir trouver un éditeur, à part Hetzel, qui lui soit favorable. Elle en profite aussi, dans son style si moderne, pour dire combien la politique la dégoûte. Lisez plutôt : « Bien que j'aie essayé d'étudier et de comprendre, comme tout le monde, la raison divine des choses humaines, je n'ai jamais pu me défendre d'aimer follement mes semblables, et par conséquent de porter dans l'appréciation des aventures historiques qu'on appelle à tort aujourd'hui la politique, les ardeurs et les dégouts de la passion, si bien qu'ayant vu de près, pour la première fois, en février 1848, les hommes et les choses, et un peu aussi les masses, j'étais revenue dans ma retraite découragée, abattue, et n'ayant plus le moindre désir de les revoir ».



L’auteur de La Mare au diable, pionnière de l’écologie et du féminisme, est restée un de nos meilleurs écrivains. On l’oublie trop … sauf en Bourgogne où Janine Bessis, par exemple, préside un cercle d’ami(e)s de l’amie de Chopin, et où Christiane Ruisi dans un beau livre sur la sociétaire de la Comédie-Française Jeanne Arnould-Plessy, nous rappelle que Sand l’avait pour amie (un carton à son nom est toujours devant son assiette à Nohant) et que cette comédienne était originaire de Salives.

Le monde est tout petit.

Michel HUVET


mardi 22 février 2011

SACRÉ VINGT DIEUX DE P'TIOTE CHAROGNE




On nous a déjà piqué les numéros de département avec les nouvelles plaques d’immatriculation. Heureux temps où, partant en vacances, on s’écriait dans la voiture dans un bouchon : "Oh, une 21, là, comme nous !" Il y avait comme un air de pays, on se faisait, du coup, des politesses, un petit signe, un sourire. Être du 21, c’était ne pas être du 75, beurk, ces Parigots-têtes-de-veau qui venaient nous narguer dans notre chère province…

Donc, fini le 21 sur la voiture. On ne sait plus, désormais, sauf à reluquer la plaque d’en face avec une loupe, de quel département sont les personnes qu’on croise sur la route ou en ville. D’ailleurs, on n’apprend plus les départements en classe. Pau, c’est le combien ? Et le 15, c’est où ? À peine savait-on encore que le 06 c’est Cannes, que le 59 c’est les Chti, voire que le 20 c’est la Corse, et encore.

Les élections de mars prochain vont donc être les dernières à évoquer, pour chaque électeur, son département. Le canton sera le premier mort de la réforme territoriale, et Baigneux-les-Juifs ou Grancey-le-Château ne seront plus des chefs-lieux. Le conseiller général ne sera plus général mais territorial. Ca en imposera, nul doute à avoir, dans l’assemblée régionale où les conseillers de Luzy, de Joigny ou de Charoles se sentiront encore moins concernés par les problèmes de leurs collègues de Seurre, de Liernais ou de Dijon VIII.



C’est comme si un petit bout de notre mémoire collective allait disparaître. Alors, dira-t-on, comment se reconnaîtra-t-on entre "pays" ? Relisez Vincenot dans La Vie des paysans bourguignons au temps de Lamartine. Il nous raconte qu’il savait être de retour en Bourgogne quand, dans un village, il voyait un vieux paysan prendre un enfant dans ses bras et l’entendait lui dire : "Sacré vingt dieux de p’tiote charogne" !

Michel HUVET


vendredi 11 février 2011

BIOÉTHIQUE : ÉTRANGE ABSENCE PARLEMENTAIRE





Sous le titre La Procréation n’est pas une industrie, des députés "de la majorité et non-inscrits" viennent de lancer un appel pour dire que la loi de bioéthique actuellement proposée à leur vote ne répond pas à ce qu’ils considèrent comme une obligation morale, à savoir "que la procréation humaine n’est pas un processus industriel qui devrait tendre vers le zéro défaut mais est le fruit de la rencontre d’un homme et d’une femme qui donnent naissance à un nouvel être, sujet de droit et non objet".

Parmi les signataires, bien des députés connus, notamment Jean-Marc Nesme (Saône-et-Loire) et Bernard Depierre (Côte-d’Or). Or, pour rester en Côte-d’Or, où sont les autres, ceux qui se disent volontiers les défenseurs de la vie et des droits de la personne ? Ils n’ont pas signé cet appel. Dans la majorité, ni François Sauvadet, ni Remi Delatte, ni Alain Suguenot, pourtant auto-proclamés défenseurs de ces valeurs intangibles. On trouve aussi parmi les signataires Nicolas Dupont-Aignan, Isabelle Vasseur, Etienne Pinte, Cécile Dumoulin, Charles de Courson ou le président de la commission spéciale bioéthique, Hervé Mariton.

Bernard Depierre


Que dit donc ce texte sinon ceci : "Il faut enfin instituer une bioéthique citoyenne. La loi qu’on nous propose donne une délégation excessive de pouvoir à l’Agence de biomédecine, c’est-à-dire aux experts. Nous ne voulons pas d’une technocratie d’experts mais nous voulons une démocratie de citoyens. La responsabilité ultime revient aux représentants du peuple. La procréation humaine n’est pas un processus industriel dont l’efficience est dans les mains d’un ingénieur qualité, quelles que soient ses qualités scientifiques, mais un acte à haute valeur éthique constitutif de la dignité de l’homme. Dans ce domaine, le Parlement est pleinement dans son rôle en exerçant une vigilance sur le respect des droits des personnes et de leurs familles."

Curieux silence, étrange absence.

Michel HUVET




mercredi 9 février 2011

EGYPTE DÉROUTANTE...




Toutes les vitrines vous le disent, depuis Havas jusqu’à Cook : "Égypte déroutante". Des milliers de familles françaises n’hésitent pas, à chaque vacance scolaire, à s’offrir plages et palaces dans ce pays de soleil où coule un Nil de légende. Alors pourquoi un Premier ministre ne ferait-il pas pareil ?

Certes, il est Premier ministre et il devrait savoir, lui, qui est ce président qui offre maisons, voitures et avions, un président égyptien "plus riche que bill Gates" a-t-on appris hier, et ce n’est sans doute pas la production intérieure brute de l’Égypte qui a garni ses comptes en banque. Mais, n’est-ce pas, c’est un usage diplomatique, c’est une vieille tradition…

En France, on n’a jamais lié politique et tourisme. Et on a bien eu tort. Pour ma part, je me rappelle trop ces flots de touristes courant en Catalogne espagnole dès les premiers beaux jours, tandis que le général Franco tenait le pays sous sa main rougie de sang.



Je me refusais à faire comme eux, n’oubliant pas que le même Franco avait voulu couper les mains du plus grand violoncelliste espagnol, Pablo Casals, lequel s’était réfugié et exilé dans les Pyrénées françaises, à Prades, et quelques autres musiciens avec lui. Il y est mort, sans jamais revoir son cher pays.

Je vais offrir au Premier ministre un enregistrement des Suites de Bach par Casals. En m’assurant que le CD n’a pas été fabriqué … en Egypte.

Michel HUVET

lundi 7 février 2011

DIJON CAPITALE SPIRITUELLE ET CULTURELLE DE L'EUROPE



L'archiduc Karl (à droite) en 2007 devant le tombeau de son aïeul


Le musée de Dijon, jadis le "premier de France après le Louvre comme on disait au temps de Pierre Quarré, veut le redevenir. La Ville ne cesse de rêver de son grand musée des beaux-arts et les travaux de restauration (galerie de Bellegarde) et d’agrandissement durent déjà depuis quelques années.

On sait que la part ducale et flamande est essentielle à ce musée installé dans le palais même où les ducs ont vécu, et combien les tombeaux de Jean-Sans-Peur et de Philippe-le-Hardi – ramenés de Champmol après la Révolution – sont des trésors intestimables en raison de la statuaire (Jehan de la Huerta, Claus de Werve, Claus Sluter) qui les garnit, ces "pleurants" incomparables dont chacune des postures, sous capuchon, est un signe historique et spirituel.

Les Américains les découvent pour partie depuis deux ans déjà, et la tournée pleurante est loin d’être terminée. Au musée même, on enlève ceux du tombeau du Hardi duc pour les exposer dans une autre salle tandis que les travaux vont être effectués dans la célèbre salle des gardes.





Je me rappelle alors l’émotion qui fut celle de l’archiduc Karl de Habsbourg – descendant direct de Philippe-le-Bon via sa petite fille Marie de Bourgogne – quand il demanda à voir ces tombeaux lors d’une de ses visites de préparation de la tenue du chapitre de la Toison d’or qui s’est tenu dans la ville de sa fondation il y a trois ans.

Et qu’a dit l’archiduc en s’adressant alors aux Bourguignons et Dijonnais lors de cette mémorable visite ? Ceci, souvenons-nous : "Mais c’est seulement maintenant, – après que nous avons célébré la messe ici le jour de saint André, le jour traditionnel du chapitre de l’Ordre de la Toison d’or, c’est seulement maintenant que nous savons, pas seulement rationnellement, que nous sommes de retour à Dijon. Nous sentons avec tout notre cœur, avec toute notre émotion, que nous sommes vraiment de retour à nos racines". 

Et il conclut : "Nous nous sentons très proches dans la vraie capitale spirituelle, dans la vraie capitale culturelle de l’Europe."

Dijon, vraie capitale spirituelle et culturelle de l’Europe… Cela peut paraître excessif mais, au regard de l’Histoire, je n’en suis vraiment pas sûr.

Michel HUVET


mercredi 2 février 2011

PRESSE DE "CANIVEAU" À DIJON




C’est ferme, dur, agressif et violent. Les journalistes dijonnais sont en guerre, les plumitifs se révoltent, les pisseurs d’encre réagissent. Un des leurs – mais l’est-il vraiment ? – les a traités publiquement de faiseurs de "presse de caniveau", invitant les "balayeuses municipales" à venir nettoyer leurs écuries malodorantes.

Du coup, c’est (enfin) le déchaînement. Il eut dû se produire il y a bien longtemps déjà, avant que l’on en arrive à de tels excès, et je sais que cette liberté de la presse – pour le maintien de laquelle nous avons été quelques-uns à prendre bien des coups – est hélas devenue un joli concept sans contenu.



L’agence Traces Écrites a joliment pondu, sur ce sujet, un bel éditorial dans sa newsletter. Et l’éditorialiste du Journal du Palais a fait de même, appelant un chat un chat. Juste après que le journal internet dijOnscOpe, qui avait déjà eu à ferrailler avec l’imprécateur, eut lui aussi dénoncé les méthodes aujourd’hui en vigueur dans les réseaux au pouvoir à Dijon.

Il est clair que tout cela indiffère bon nombre de Dijonnais. Et pourtant il convient qu’ils sachent vite combien s’est dégradé l’exercice d’une profession jadis faite de courage et d’intelligence et désormais livrée aux intérêts de financiers aux crocs acérés, et au pouvoir d’hommes de main dont le triste passé montre qu’ils n’ont ni foi ni loi.



Reporters sans frontières s’émeut depuis plusieurs mois déjà de la situation "délétère" qui empoissonne la capitale des Ducs de Bourgogne en matière de presse. Son dernier communiqué d’alerte reprend les propos de l’imprécateur et termine ainsi :

"Ces propos s’inscrivent dans une série d’actes inacceptables survenus au cours des derniers mois à Dijon : pressions sur les patrons de presse afin qu’ils licencient leurs reporters trop curieux, intimidations de journalistes, menaces de suppression de budgets publicitaires, etc. Reporters sans frontières demande en conséquence aux élus, garants des bonnes pratiques démocratiques, de veiller à empêcher toute forme de censure et de pression sur les professionnels des médias locaux. En tant que premier magistrat de la ville, François Rebsamen, doit au plus vite mettre fin publiquement à de tels procédés."

C’est évidemment le moins qu’on en puisse dire.

Michel HUVET