jeudi 28 avril 2011

ANNE MERCIER ET THIERRY ROSBACH : DUO AU SOMMET



Rares sont les concerts dijonnais où se produisent les deux professeurs du Conservatoire, Anne Mercier et Thierry Rosbach, en duo par le monde depuis 1998. Comme ils sont enfin annoncés, il est temps de se souvenir de ce moment exceptionnel qu’ils ont fait vivre en octobre 2004 aux mélomanes d’alors dans la même chapelle du lycée Carnot.

Ainsi écrivis-je alors dans le Bien Public après ce moment musical si intense :

Retrouver ce duo magique composé de Thierry Rosbach et Anne Mercier a été, pour les mélomanes accourus dans l’ancienne chapelle du lycée Carnot, une joie sans mélange. Le pianiste et la violoniste du CNR de Dijon forment un des rares duos piano/violon qu’on ait de ce niveau-là en Europe et ce concert «polonais» l’a amplement confirmé.

Anne Mercier, soutenue par un pianiste qui est à l’affût de ses moindres intentions et s’y coule à la perfection, a confirmé qu’elle avait le plus bel «archet» du monde : sa virtuosité est dépassée en effet au profit de ses intentions. Et la Partita de Lutoslawski, indigeste au demeurant, lui permet de mettre du sens et de la beauté où on a peine à en trouver… sur le papier.

Alors quand elle dialogue avec Thierry Rosbach dans ce triptyque que sont les Mythes de Szymanowski, c’est pure merveille, une vision picturale et poétique des mythes grecs qui, dans cette version Anne-Thierry, est juste à mi-chemin entre impressionnisme et expressionnisme.

Tout le monde attendait d’entendre les deux artistes dans le sommet de la littérature violon/piano, "la" Sonate de César Franck. Une redécouverte. Un enchantement. Une envie folle de crier «bis» quand elle s’acheva. Comment Anne Mercier fait-elle pour être à ce point, dès sa première touche des cordes, dans le ton, dans le style, dans le "sens" de la musique ?

À peine ferme-t-elle une seconde les yeux pour mieux entendre son chant intérieur, et puis, tandis que le pianiste l’écoute et coule son jeu dans cette poésie, elle se jette dans l’intériorité musicale sans la moindre hésitation, sûre de sa justesse. L’allegro initial est à cet égard renouvelé, neuf, vivant. Et l’on s’achemine ainsi vers une fantasia (3e mouvement) qui est un long poème à deux voix avant que l’allegro final ne redise sur tous les tons quelque chose qui a la beauté de l’espérance.

Michel HUVET

vendredi 22 avril 2011

LE SCANDALE D'UN CRUCIFIX


Voilà donc l’oeuvre qui fait scandale : ce Christ baignant dans l’urine de l’artiste photographe. Pas de quoi fouetter le diable et rameuter les intégrismes toujours prompts à se ridiculiser, même et surtout si le ridicule ne tue pas. On ne répond pas à la provocation par une autre qui la sublimise.



Car tout ça ne vaut pas un iota de scandale, ne nous y trompons pas. Il ne s’agit qu’une affaire commerciale, une montée de la cote déclinante de l’artiste, une affaire de galeristes et de marchands d’art. Et comme les chrétiens sont en semaine sainte, ça tombe bien pour les affaires.

Et puis même, à y regarder de près, cette photo ne nous dit-elle pas quelque chose de notre monde ? Qu’à trop jeter les valeurs apportées il y a deux mille ans par le christianisme, on finira par un suicide collectif, avec Tchernobyl et Fukushima comme signes annonciateurs. Qu’à toute époque aussi, ce sont les fanatismes, et d’abord les fanatismes religieux, qui ont semé le trouble : à se demander même si les “intégristes” visés ne sont pas des faux…

Je sais combien cette photo a pu toucher la sensibilité d’âme de ceux qui y ont vu un blasphème, qui se sont dit que ce qu’on fait à Jesus-Christ, certains n’oseraient pas le faire avec toute autre religion et que le christianisme accepte depuis si longtemps la dérision qu’après tout, n’est-ce pas ?...

Mais c’est oublier l’essentiel : que le Christ n’est pas venu pour être servi mais pour servir, qu’il est mort sur une croix pour que tout pauvre, tout humble, tout malade soit guéri et sauvé. C’est de salut qu’il est question dans cette mort sur la croix. Cette photo qui fait tant de bruit nous dit bien que nous sommes poussière.  



Pâques arrive à point. Dans la nuit, une lumière va soudain briller. Il n’est plus là. Il est vivant. Il nous précède dans la Vie. La vraie photo du Christ, c’est celle qui se trouve à Turin, dans ce linceul que les femmes trouvèrent roulé au matin de Pâques. Elles virent, et elles crurent.

Michel HUVET

jeudi 14 avril 2011

L'ABBÉ DE CÎTEAUX VEUT LE CRIER HAUT ET FORT




Je suis en train de dévorer un petit livre merveilleux, qui vient de paraître aux Editions dijonnaises L’Échelle de Jacob : ne riez pas, cela s’intitule Introduction à la vie priante. De nos jours, prier, je sais bien, cela fait plutôt sourire et écarquiller les yeux ! Prier, alors que les fins de mois sont difficiles ! Prier, alors que l’on ne vit qu’entre un caddie au supermarché et une rigolade de téléréalité.

Oui, j’ai dit prier. Comme l’explique si bien un personnage étonnant, Dom Olivier Quenardel, un ancien chef d’entreprise devenu père abbé de Cîteaux, lors de ces entretiens avec une universitaire lauréate de l’École Normale Supérieure de Saint-Cloud, Véronique Dufief. Et que dit, d’abord, ce moine exemplaire ? Qu’il veut "crier haut et fort" ceci : "Dieu n’est pas un suveillant, il ne me guette pas au tournant de mes erreurs pour me tomber dessus et m’accabler de reproches. Illusion mortifère que ce dieu pion ! Invention tenace de l’homme pécheur que ce dieu gendarme !"



Et alors, Dom Olivier Quenardel poursuit : "Dieu estime trop notre liberté pour un tant soit peu l’endommager. Il se propose et jamais ne s’impose. C’est plus que du respect. Une extrême pudeur le pousse à nous rejoindre au plus intime de nous-mêmes en se réduisant à une bouchée de pain, à une gorgée de vin (…) Dieu ne veut jamais nous impressionner".

Alors, oui, prier. Avec son corps autant qu’avec son âme. Se mettre à l’écoute de ce "silence inépuisable". Lâcher prise. Devenir guetteur de l’aube. Le reste ne nous appartient plus.  C’est ce que j’aurais voulu faire comprendre à tant de personnes en quête d’une vie plus pleine et plus apaisante au moment où les chrétiens s’apprêtent à vivre la semaine dite sainte. Jusqu’à la nuit que la découverte d’un tombeau vide et d’un linceul roulé éclairera soudain d’une petite flamme d’espérance.

Michel HUVET

(1) Dom Olivier Quenardel, abbé de Cîteaux : Introduction à la vie priante, préface du Frère Alois, Prieur de Taizé, entretiens avec Véronique Dufief (Editions L’Échelle de Jacob, collection Visages, 224 pages, 18 €)

lundi 4 avril 2011

JEAN-PHILIPPE LECAT : LA BOURGOGNE D'ABORD




Quand il était ministre de la Culture, Jean-Philippe Lecat n’avait que deux objets distinctifs dans son vaste bureau donnant sur les jardins du Palais-Royal : un grand portrait de Philippe-le-Bon et une statuette à l’effigie de Jean-Philippe Rameau. 

Cet ancien ministre – qui vient de mourir – avait la Bourgogne dans le coeur. Pas n’importe quelle Bourgogne, celle des grands ducs d’Occident, celle qui fut prospère et qui créa l’Europe avant la lettre par l’ordre de la Toison d’Or. Au ministère, rue de Valois, il avait installé ce qu’on appela vite "l’étage Bourgogne", où journalistes et visiteurs venus d’en-deça pouvaient trouver bureaux et téléphones.

C’est lui aussi qui décida d’installer la direction régionale de son ministère rue Vannerie, dans les anciens locaux de sa chère École Saint-François. C’est aussi là qu’il fit venir, comme directeur régional, Edouard Pommier, qu’il avait rencontré à Madrid où il était conseiller culturel à l’ambassade de France. C’est enfin encore lui qui fit beaucoup pour la sauvegarde du patrimoine rural non classé : une revalorisation qui a sauvé plus d’un lavoir et plus d’une chapelle !



Depuis la chute de Giscard, Jean-Philippe Lecat n’avait cessé d’agir pour la Culture : président de la Villa Medicis à Rome, président des Amis de Mozart et, à Dijon, président des Amis de la Chapelle de la Providence et des Amis de la Chapelle de Champmol. On n’oubliera pas non plus l’aide et le poids qu’il apporta dans la défense et la sauvegarde du Puits des Prophètes dans le jardin de l’hôpital psychiâtrique.

Nous serons enfin quelques-uns à évoquer comment Jean-Philippe Lecat installa à Poncey-sur-l’Ignon un Atelier de Création Littéraire et, surtout, combien des dîners en sa compagnie se transformaient, par sa conversation, en un inoubliable éblouissement culturel.

Lui qui fut conseiller général de Nolay, député de la V° circonscription (Beaune, Pouilly), lui qui était né à Dijon et fit, par ses libres, "flamboyer" de nouveau la Toison d’Or, mériterait bien – outre l’éloge que l’académie ne manquera pas de lui offrir – qu’on donnât son nom à une rue, une avenue même, un boulevard pourquoi pas …

Michel HUVET


dimanche 3 avril 2011

BRUNO FRAPPAT À LIRE D'URGENCE


Chaque chronique est illustrée des dessins "intérieurs" d'Annie Goetzinger


Il est une exception dans la grisaille des médias français : c’est L’Humeur des jours. C’est dans La Croix chaque samedi, et c’est signé Bruno Frappat. Si vous comprenez mal ce qui se passe, si vous ne savez pas bien dire ce que vous ressentez face à une actualité bousculée, si vous voulez passer un vrai dimanche de paix, alors ne manquez pas son propos hebdomadaire. Vous verrez que ce qu’il écrit, vous eussiez aimé savoir l’écrire, et que ce qu’il pense, vous le pensez avec lui !

Exemple : voici que le 11 mars 2011 avec cette centrale nucléaire nippone dévastée renvoie à cette autre date-clé de la courte histoire de ce siècle : le 11 septembre 2001.
Voici ce qu’écrit Bruno Frappat : 

"On saura plus tard celui de ces deux événements qui aura le plus interrogé l’homme sur lui-même. Sur son fanatisme, sa croyance, ses emballements, son rapport à la nature humaine et à la nature tout court, sur ses excès de suffisance. Événement politique dans un cas, le terrorisme et la haine, technologique dans l’autre, l’avenir de l’énergie nucléaire. Dans les deux cas, remise en cause de puissances établies, fragilisation de sécurités factices, le tout nourrissant une angoisse mondialisée. World Trade Center, fin d’une époque de paix et de stabilité qui n’aura duré que dix ans après la chute du mur de Berlin. Fukushima, fin d’une longue insouciance de décennies de gaspillage, de saccage sournois de la planète. 2001 nous avait laissés sans voix, 2011 nous laissera-t-elle sans avenir."

Sans avenir ? Plus rien d’autre, pas même une lueur d’espoir. Si ! Lisez plutôt : 

"Beaucoup cherchent ailleurs des solutions à l’inquiétude terrestre, des échappées aux déconvenues de l’ici-bas. Les uns le font pour fuir et se consoler, les autres parce qu’ils sont animés par une espérance qui court les siècles. Le ciel réel, derrière les nuages de nos pestilences, de nos bombardements, reste pur et bleu, comme au désert libyen. Ce ciel est habité par une pureté rafraîchissante, native, comme l’atteste n’importe quelle journée de printemps : et il en reste ! Mais il y a aussi le ciel des religions qui est bien plus que celui dont nous redoutons qu’il nous tombe sur la tête. Ce ciel est intérieur, intime, inépuisable, partageable par tous les morts et tous les vivants. Nul saccage ne le menace que celui de la désespérance."

Merci, Bruno Frappat.

Michel HUVET