jeudi 12 janvier 2012

ROBERT POUJADE : LE TEMPS DE LA MÉMOIRE



Je referme le livre de mémoire de Robert Poujade avec un brin de nostalgie. Avec de Gaulle et Pompidou s’achève en effet sur un Journal du crépuscule : "Oui, bien sûr, la France continuera"…

Ce livre tant attendu de celui qui fut maire de Dijon durant trente ans parle assez peu de Dijon. Il est le récit-témoignage des années qui virent le gaulliste normalien occuper des postes-clés dans l’appareil politique et d’État, disons entre 1958 et 1981, du retour du Général au pouvoir à la victoire de François Mitterrand.

30 mai 68 : entre Malraux et Debré


Robert Poujade était gaulliste dans l’âme. Il avait lui aussi une certaine idée de la France : responsable des étudiants gaullistes au temps de la rue d’Ulm, devenu le patron de l’UD V° puis de l’UDR entre 1967 et 1970 – trois années capitales –, ami de Chaban-Delmas et de Pompidou et donc écartelé au temps où l’Élysée et Matignon se faisaient la tête, ministre de l’Environnement après avoir refusé l’Éducation nationale après Mai-68 puis celui de la Culture quelques années plus tard, ce brillant malrucien et stendhalien se réfugia dans Dijon, la ville que le Général lui avait demandé de conquérir.

Gaulliste, donc. Dans son livre, au moment de la mort du Général, Robert Poujade a des phrases émouvantes et d’une sincérité qui va bien au-delà de la politique : "Rien n’a été comparable dans notre vie à la chance qui nous a été donnée d’avoir pu l’accompagner, de travailler pour lui, et un peu avec lui, d’avoir eu l’occasion de dialoguer avec celui qui restera comme un des plus grands hommes de notre Histoire".

Avec de Gaulle et Pompidou n’apporte pas de révélation spectaculaire de la part de celui qui hanta les coulisses de leur pouvoir. Mais on y saisit mieux les rouages subtils de l’État en ces temps de naissance de la V° République. Et puis Robert Poujade, qui les a tous côtoyés, dresse de tous les "grands" de son monde des portraits d’une qualité exemplaire. S’il était peintre, ce serait Velasquez. Il est Normalien, et il a beaucoup lu : voici le trait acéré, la citation assassine, le croquis définitif.

Portraits sur le vif d’Edouard Balladur jeune directeur de cabinet de Pompidou, de Chaban-Delmas ou de Roger Frey, de Couve de Murville ou d’Edgar Faure, voire de Pierre Juillet et de Marie-France Garaud, éminences grises de l’Élysée en 1971/1972. Robert Poujade évite de dessiner le portrait de ceux qui, pour parler comme Apollinaire, "n’égalaient pas leur destin". Mais il réserve ses traits à ceux et celles avec lesquels il eut fort à faire. Prenez, par exemple, Marie-France Garaud : "Cette juriste douée était montée jeune du Poitou à la conquête de Paris, ce qui lui valut vite des rapporchements littéraires avec le héros des Illusions perdues alors qu’elle n’avait jamais eu d’illusions".



Ce livre de Robert Poujade retrace un pan important de notre histoire récente et en donne un témoignage privilégié. Jamais jusqu’ici l’ancien maire de Dijon n’avait vraiment évoqué ces années de gloire, ces années où François Mauriac lui prédisait un "destin exceptionnel". On lit ces pages avec avidité, beaucoup de nostalgie, comme on lirait un récit napoléonien, tant les temps actuels font passer cette époque gaullienne pour tellement ancienne…

Robert Poujade ne vient plus à Dijon. Il vient d’être élevé à la dignité de commandeur de la Légion d’honneur. Il a plus de 80 ans. Mais avec ce livre, il s’établit dans une sorte de jeunesse immuable. Il nous parle encore par ses livres. Comme une étoile brille longtemps après avoir disparu de la voie lactée.

Michel HUVET

Avec de Gaulle et Pompidou, mémoires, de Robert Poujade (Éditions de l’Archipel, 300 pages, 19, 95 €)



mardi 3 janvier 2012

VACLAV HAVEL N'AVAIT PAS OUBLIÉ DIJON !



Étrange discrétion télévisuelle après la mort de Vaclav Havel, survenue quand l’Europe en crise prépare Noël pour oublier la peur de perdre le triple A… Bien sûr, l’ancien président tchèque, le fondateur de la célèbre Charte 77 qui finit par mettre à bas le communisme en Tchécoslovaquie, était quasiment oublié de l'actualité "people" depuis son retrait du pouvoir. Mais l’hommage – local et international – qui lui a été rendu au château de Prague a néanmoins montré que ce défenseur de la liberté ne serait pas si vite oublié et qu’il avait sa place dans l’Histoire du XX° siècle. 

Et dans l’histoire de Dijon.

Dijon, oui, puisque le président Havel vint lui-même au lycée Carnot de Dijon en 1999. Il tenait à rendre hommage à tous les Tchèques qui s’y sont formés depuis 1920. Ce sont ces générations de lycéens tchèques qui ont fait la République tchèque d’aujourd’hui, et ce sont aujourd’hui ces anciens lycéens qui forment l’élite de ce pays travailleur autant que joyeux.

Une association pragoise des "anciens de Dijon" les réunit d’ailleurs régulièrement et "avoir été au lycée Carnot de Dijon" reste une référence dans toute la jeune république, celle qui a édifié une statue de Jan Palach – autre "Dijonnais" – sur la grande place de sa capitale.

Vaclav Havel était venu aussi à Dijon pour rendre hommage d’État à un autre important personnage tchèque, Edouard Benès, fondateur de la République de Tchécoslovaquie en 1920 et qui en fut l’un de ses illustres présidents. C’est qu’Edouard Benès était docteur en droit de la Faculté … de Dijon (1908 !).



Je me rappelle qu’en 1999, le préfet de l’époque, préparant la venue du président Havel, m’avait interrogé sur cet homme atypique et je lui avais appris qu’avant 1977, Vaclav Havel était très connu en Europe … par ses pièces de théâtre : la revue L’Avant-Scène publiait ainsi régulièrement après 1968 les pièces de cet écrivain résistant qui pourfendait, depuis sa prison pragoise, la lourdeur de l’administration communiste avec une ironie tout humaniste. Le Rapport dont vous êtes l’objet le fit connaître en France via le festival d’Avignon à la fin des années 60.

Dijon pourrait bien donner son nom à une des nouvelles rues.

Michel HUVET