vendredi 12 octobre 2012

DÉBAT SUR LA FAMILLE : LA MODERNITÉ CHRÉTIENNE SELON MICHEL SERRES




À quoi bon, même si l’on est un peu philosophe, dire plus mal ce qu’un « maître » dit si bien ? On parle des débats actuels sur l’homoparentalité et la famille, le mariage homosexuel et autres adoptions. Comme La Croix est un excellent quotidien, sans doute le plus honnête qu’on trouve actuellement en France, je n’hésite pas à reprendre l’article que lui a écrit Michel Serres. Une petite merveille. Lisez plutôt.

Michel HUVET

« Ce que l’Église peut apporter au monde aujourd’hui, c’est le modèle de la Sainte Famille. Ce modèle se trouve dans l’Évangile de saint Luc. On y lit que le père n’est pas le père – puisqu’il est le père adoptif, il n’est pas le père naturel –, le fils n’est pas le fils – il n’est pas le fils naturel. Quant à la mère, forcément, on ne peut pas faire qu’elle ne soit pas la mère naturelle, mais on y ajoute quelque chose qui est décisif, c’est qu’elle est vierge. Par conséquent, la Sainte Famille est une famille qui rompt complètement avec toutes les généalogies antiques, en ce qu’elle est fondée sur l’adoption, c’est-à-dire sur le choix par amour.

« Ce modèle est extraordinairement moderne. Il invente de nouvelles structures élémentaires de la parenté, basées sur la parole du Christ : ''Aimez-vous les uns les autres''. Depuis lors, il est normal que dans la société civile et religieuse, je puisse appeler ''ma mère'' une religieuse qui a l’âge d’être ma fille. Ce modèle de l’adoption traverse l’Évangile. Sur la croix, Jésus n’a pas hésité à dire à Marie, en parlant de Jean : ''Mère, voici ton fils.'' Il a de nouveau fabriqué une famille qui n’était pas naturelle.

« Je n’ai pas la prétention de dicter quoi que ce soit de sa conduite à l’Église, mais puisque vous me demandez ce qu’elle peut apporter aujourd’hui, je crois que là se trouve une parole pour notre temps, où se posent tant de questions autour des modèles de la parenté, du mariage homosexuel, etc. Le modèle de la Sainte Famille permet de comprendre les évolutions modernes autour de la famille et de les bénir. Aujourd’hui, on dit souvent qu’un fossé se creuse entre l’Église et la société autour des questions familiales. Pour ma part, je constate que ce fossé est déjà comblé depuis deux millénaires. Je ne l’ai pas découvert, c’est déjà écrit dans l’Évangile de Luc. 

« Aujourd’hui, il s’agit de faire valoir cet « Aimez-vous les uns les autres » comme régulateur de ces nouvelles relations familiales. ''Adoption'', vient du latin optare , qui veut dire choix. La religion chrétienne est une religion de l’adoption. L’Évangile nous dit que l’on ne devient père ou mère que si on adopte nos enfants. On ne devient père ou mère, même si l’on est un père ou une mère naturel (le), que le jour où on dit à son fils : ''Je te choisis par amour''. Tel est le modèle de la Sainte Famille. La loi naturelle n’existe plus, c’est la loi d’amour qui compte en premier.

« Je crois que l’adoption est la ''bonne nouvelle'' de l’Évangile. Avant l’Évangile, il y avait la généalogie, les lois tribales, c’est-à-dire les lois par héritage. Aujourd’hui encore, ce qui rend impossible l’arrivée de la démocratie, ce sont des luttes entre familles, entre tribus, les clans, comme autrefois dans le MoyenOrient antique.

« La nouveauté extraordinaire du point de vue politique, anthropologique et moral du christianisme, c’est d’avoir supprimé cet héritage naturel et d’y avoir substitué l’adoption, le choix délibéré et libre par amour. »




dimanche 7 octobre 2012

LA RESCAPÉE DE DRANCY ET LA CRISE D'AUJOURD'HUI




Elle s’appelle Mme Francine Christophe. Elle fut déportée depuis Drancy. Rescapée, elle passe son temps de vieille dame dans les écoles à tenter de témoigner devant des enfants abasourdis. Elle vient d’écrire à Bruno Frappat qui, dans La Croix, a rapporté de larges extraits de sa lettre. Et cela bouleverse les lecteurs. 

La crise, – non pas la financière, mais l’autre, celle de la société tout entière, de sa jeunesse abandonnée et de ses valeurs piétinées –, Francine la rescapée en donne quelques exemples concrets. Lisons-là.

« J’ai souvent écrit à des journalistes, hélas, dans le vide. Hors du sérail, point de salut. Donc, hier, grande cérémonie à Drancy, pour l’inauguration du nouveau mémorial. Présence du président de la République. Normal. Discours du président de la République, normal.

« Nous étions là une poignée de survivants, peut-être vingt. Les ministres présents ont eu droit à quelques mots. Des adolescents aussi, puisque cette présidence est sous le signe de la jeunesse ; mais nous, les vieux enfants rescapés, rien ! Pas un regard, pas un sourire, pas une poignée de main. Au dépôt de gerbe devant le wagon, le président, encore des adolescents ; mais un survivant ? Non. Ce n’est pas grave, n’est-ce pas, puisque très bientôt nous aurons disparu, comme on dit gentiment…



« Autre sujet qui me met en colère. Les écoles, pour lesquelles on demande des moyens, encore des moyens. Mais personne n’ose prononcer le mot discipline. Pourquoi sommes-nous revenus, quelques enfants survivants (j’avais presque 12 ans), ceux qui n’ont pas été assassinés tout de suite ? Parce que nous avions été élevés avec rigueur et discipline. Cela nous avait rendus forts. Notre survie a été une forme de résistance.

« Je témoigne depuis 1995. Je vois entre trente et cinquante écoles par an. Avec une moyenne de deux cents enfants par témoignage. Je vois donc plus d’enfants, de professeurs, de proviseurs, que n’importe quel inspecteur. Trop de professeurs font ce métier sans vocation : ils me le disent. Trop de garçons issus de l’immigration n’acceptent pas d’être notés par des femmes. Trop d’enfants français « de souche » ont des parents qui ont peur d’eux et laissent tout passer et ne respectent pas le professeur… devant les enfants parfois. Trop de parents de l’immigration sont indifférents quand ils ne sont pas simplement opposés (et ne se déplacent pas si les professeurs le demandent). Trop de principaux ou de proviseurs sont des “Messieurs-Pas-de-Vague”.

« Nous, les rescapés, élevés dans une violence inqualifiable, retrouvant après-guerre un pays qui ne nous attendait plus et n’avait rien prévu pour nous, nous, les rescapés n’avons pas mal tourné. Lorsque je regarde mes camarades, je suis fière de nous. Cela, je le dis dans les écoles, et ça passe bien. Pardonnez-moi de vous ennuyer. »

Une fois encore, merci à Bruno Frappat ... et à Francine Christophe !

Michel HUVET