vendredi 27 octobre 2017

LES "MÉFAITS DU TABAC" À SEMUR : IVAN IVANOVITCH, C'EST AUSSI NOUS !


Alain Bouchet en Ivan Ivanovitch (photo Philippe Blanc)

Tout habitué de la chose théâtrale sait ce que les Méfaits du tabac (Tchékov) ont produit comme écoeurements divers : une farce bonne à être jouée par des amateurs de patronage… Un petit tour dans la très improbable salle de l’ancien tribunal semurois et tout a changé d’un seul coup de la baguette magique agitée par trois compères chevronnés, le « clown » Alain Bouchet, le musicien Gérard Pichon et le metteur en scène Philippe Berling.

Sans possibilité de jeux de lumières, rien qu’avec l’utilisation subtile des lieux, sans rideaux ni décors, rien qu’avec le jeu des acteurs, voilà que Tchékov s’est mis à nous parler comme un auteur du XXI° siècle, Alain Bouchet se défaisant au fil du monologue des masques de Buster Keaton ou de Charlie Chaplin (celui du Kid) et Gérard Pichon se délaissant du travesti pour dire, avec son piano et sa perruque, toute la pesanteur symbolique, ici d’une femme rigide et austère, prof de musique et rectrice de pensionnat, qui pourrait tout aussi bien être un pouvoir politique, tout ce dont le « conférencier du tabac » a sur le cœur.

 La farce se fait psychodrame

Alors voilà que la farce se fait psychodrame. Le jeu, la mise en scène, la chorégraphie – oui, ce ballet incroyable entre Ivan Ivanovitch et une mouche est d’une symbolique atrocement révélatrice – se conjuguent pour nous offrir un miroir de tous nos refoulements. Ivan, c’est aussi nous. Et quand le crescendo d’accords pianistiques et de confessions inconscientes est à son terme, Ivan va littéralement exploser – c’est ça, toujours, avec Tchékov, demandez donc à l’Oncle Vania – et nous faire nous aussi expectorer ces non-dits comme pour une libération bienfaisante.

Il n’y a donc que le théâtre, ici exprimé sans une apparente simplicité scénique, pour parvenir à tant d’émotion. Philippe Berling, sournoisement, sans qu’on ait l’impression qu’il y a mis plus qu’un peu de savoir scénique, a trouvé le chemin qui va de l’acteur au spectateur, et y retourne sans doute, pour le bien de tous. Tchékov est comblé. Nous aussi.

Michel HUVET